De la fondation de l’Association Suisse

Jusqu’au milieu des années 50 du siècle dernier, les hémophiles suisses étaient complètement livrés à eux-mêmes. Leur traitement était le plus souvent confié au médecin de famille.Dans le monde médical, il y avait encore peu de spécialistes de l’hémophilie. Certains pionniers comme Fonio à Coire, Feissly à Lausanne, Lenngenhager à Berne ou Koller à Zurich étaient des exceptions. Toute homorragie grave avait pour conséquences l’hospitalisation et des séjours en partie prolongés à l’hôpital. On se contentait d’administrer des transfusions de sang ou de plasma.

En 1958, j’ai été engagé au Laboratoire central de la CRS à Berne où j’ai pu travailler auprès du Prof. A. Hässig dans le nouveau laboratoire de coagulation. Dans cette fonction, je me suis très vite intéressé aux problèmes spécifiques liés à l’hémophilie. A l’époque, on publiait les premiers rapports sur l’utilisation d’une fraction de plasma - la fraction I selon Cohn - visant l’hémostase d’une hémorragie hémophile. A Berne, au centre de dons du sang, Nitschmann et ses collaborateurs mettaient au point une méthode permettant d’isoler la fraction I selon Cohn sur la base d’une combinaison de deux dons de sang et de la mettre à disposition sous forme lyophilisée. Se limiter à deux échantillons sanguins limitait considérablement le risque d’infection par l’hépatite C. La Suisse était alors privilégiée dans la mesure où elle était l’un des premiers pays d’Europe à disposer d’un produit plasmatique de facteur VIII pour le traitement de l’hémophilie A. Ce n’est que beaucoup plus tard que l’on a pu développer une préparation équivalente pour l’hémophilie B.

L’utilisation de cette «globuline antihémophilie CRS (GAH)» a apporté un changement fondamental dans le traitement de l’hémophilie. Au début, ce produit était encore utilisé avec beaucoup de réserve. On ne l’administrait que lorsque les autres mesures déjà connues s’étaient soldées par un échec. On était encore loin d’une notion de prévention ou d’un autotraitement à la maison. Il n’en demeure pas moins que cette GAH a permis d’enrayer rapidement les craintes d’hémorragies et l’angoisse de la maladie.

Prof. Dr. Gugler à l’oeuvre - 1er camp d’hémophilie en 1964 d’Arcegno au Tessin.

Dans le domaine des situations d’urgence, les hémorragies articulaires constituaient les principaux problèmes de l’hémophilie, dans la mesure où la répétition d’une hémorragie endommageait considérablement l’articulation concernée et aboutissait à une invalidité croissante. Or, grâce à la GAH et à des mesures orthopédiques et physiothérapeutiques appropriées, nous pouvions désormais offrir un traitement. C’est la raison pour laquelle nous avons, en collaboration avec le Dr. W. Geiser, orthopédiste de Berne, démarré en 1961 le développement d’un centre de consultations pour hémophiles au Laboratoire central. C’est ainsi que nous avons pu, pendant trois ans, examiner et conseiller plus de 100 patients souffrant d’hémophilie ou d’autres troubles de la coagulation, et prendre contact avec leurs médecins traitants. Les patients provenaient des quatre coins de la Suisse, de Saint-Gall à Genève, de Bâle au Tessin. 60 % d’entre eux étaient des enfants. A cette époque, il n’existait aucun registre des personnes atteintes d’hémophilie. Il était donc difficile de trouver les adresses des personnes concernées. Les examens étaient gratuits ; les frais de voyage éventuels étaient pris en charge par la CRS. Les personnes aujourd’hui concernées par l’hémophilie auraient certainement du mal à imaginer dans quel état pitoyable étaient le plus souvent les articulations des patients que nous recevions : pieds bots équins avec réduction des possibilités de marche, contractions extrêmes de l’articulation d’un genou jusqu’à son blocage en position accroupie, blocage de l’articulation de la hanche en position de flexion, arthropathies douloureuses dans les articulations du coude et de l’épaule. On voyait souvent les patients arriver en chaise roulante ou avec diverses béquilles. Ce qui nous frappait le plus, c’était que les garçons que nous recevions souffraient de déformations précoces et donc déjà d’un degré d’invalidité proportionnel, avec toutes les conséquences évidentes sur leur vie scolaire et leurs loisirs.


Nous devions chercher pour les enfants des moyens et des possibilités de faire intervenir, dès que possible, des mesures de traitements appropriées, susceptibles d’enrayer de telles conséquences. C’est ainsi que germa en nous l’idée d’organiser des camps de vacances où les garçons pourraient se familiariser avec leur maladie et relativiser leurs craintes des hémorragies et de leurs conséquences. Pour ce faire, nous projetions de leur apprendre des exercices simples à pratiquer tous les jours pour améliorer le fonctionnement de leurs articulations et de leur faire découvrir des activités sportives non violentes et adaptées à leurs conditions. Nous attendions aussi de ces camps l’effet positif du groupe sur l’individu qui a la possibilité de partager sa souffrance avec d’autres compagnons d’infortune et, par là-même, de devenir plus autonome et plus sûr de lui-même. Les camps visaient également à décharger un peu les familles du poids qu’elles avaient à porter. C’est en collaboration avec la clinique pédiatrique de Berne, la Croix Rouge Suisse et le soutien généreux de l’AI que le premier camp put être organisé en 1964 à Arcegno au Tessin. Nous étions déjà très conscients du risque encouru par la prise en charge pendant deux semaines d’enfants de 5 à 16 ans, atteints d’hémophilie grave. Nos scrupules se dissipèrent toutefois rapidement car le camp fut couronné d’un tel succès pour tous les participants, qu’il fut réorganisé les années suivantes, avec à chaque fois quelques modifications. Une nouvelle tradition, au sens véritable du terme, était introduite. Je me dois ici de nommer et de remercier personnellement le Dr. R. Kobelt dont l’engagement pour ces camps n’a jamais flanché, tant au niveau de l’organisation que de l’animation.

Par la suite, il s’avéra toutefois que les hémophiles n’avaient pas seulement besoin de soins médicaux et orthopédiques appropriés mais qu’ils se heurtaient également à toute une série d’autres problèmes liés à : l’école, le choix de leur profession, leur formation professionnelle, des problèmes dentaires, la planification familiale et la consultation en matière génétique, au sport, à des aspects psychosociaux et, en particulier, à un savoir-faire avec les assurances sociale et bien d’autres aspects de la vie quotidienne. Il était devenu clair que seuls quelques spécialistes ne pouvaient pas maîtriser toutes ces difficultés. On entendit s’exprimer de divers côtés le désir de fonder une association suisse d’hémophiles au sens d’un groupe d’entraide qui favoriserait une collaboration étroite entre médecins et patients. C’est ainsi qu’un certain nombre de médecins et d’hémophiles intéressés se retrouvèrent à Berne en juin 1965 pour une séance préliminaire visant à discuter les tâches, les statuts et les questions de financement d’une future association. Les objectifs fixés alors étaient les suivants :

  • les nouvelles découvertes médicales sur la maladie et son traitement devaient être portées à la connaissance de tous les hémophiles suisses ;
  • par une prise en considération de tous les aspects y afférents, le traitement de l’hémophilie devait être amélioré ;
  • les recherches scientifiques relatives aux causes et au traitement des maladies de coagulation devaient être encouragées;
  • les intérêts communs devaient être défendus auprès du public, des institutions et des administrations et il fallait encourager les contacts avec d’autres nations et des associations internationales.


L’Association Suisse des Hémophiles fut fondée à Berne le
9 novembre 1965. Le premier Président était Monsieur
A. Schwalm de Langenthal. Le premier président de la Commission médicale, Prof. F. Koller.

C’était il y a plus de soixante ans ! Depuis lors, l’A. S. H. est devenue une institution dont on ne peut plus se passer et qui tient, grâce aux progrès médicaux et aux multiples développements qu’elle a présidés dans le domaine de l’hémophilie, une place importante dans le domaine de la Santé publique en Suisse. Les soins octroyés aux hémophiles depuis 40 ans sont passés par des phases d’espoir et de peur, de confiance et de déception. C’est la raison pour laquelle on ne mettra jamais suffisamment l’accent sur l’importance d’une institution telle que l’A. S. H., en collabration avec les centres de traitement régionaux. 

Par le Prof. Dr. med. Edouard Gugler (Prof. Gugler est décédé en janvier 2022 à l'âge de 92 ans)